de Bianca Nugent
Surplombant le Lac Moffat, un lac privé de surcroît, le studio résidentiel de Marcio de Melo est situé aux confins de la pittoresque région du Pontiac, précisément à Quyon et exactement à 67,2 km de la ville de Hull. La route pour s'y rendre est sombre et sinueuse par cette froide soirée d'automne.
Avec son accent susurrant et typiquement coloré d'un voyageur du
Sud, Marcio prend soin de me prévenir que sa chienne " Naoumi "
viendrait à ma rencontre en aboyant un coup. Il insiste pour que Ted,
son ami et agent, me donne les directions, même si elles sont clairement
précisées sur son site internet. C'est qu'il est prévenant
ce peintre autodidacte originaire de Recife au Brésil. Ce soir-là,
Marcio Fabiano Raposo de Melo, se tient debout, devant sa fermette, les deux
mains bien au chaud insérées dans les poches de son jean. Avec
sa chemise à carreaux à l'allure bûcheronne, il détonne
du paysage laurentien qui l'entoure. Il suffit remarquer sa tignasse noire
et ondulée, son visage à barbiche aux traits latins comme les
companheiros du pays du sertaõ, pour s'en rendre compte.
Il y a chez lui un naturel qui ne trompe pas. Même après une discussion
étymologique de ses prénoms, Marcio pour Mars, le dieu de la guerre
et Raposo, le rusé renard, il ne réussit pas à me convaincre
de son tempérament belliqueux.
Ayant poursuivi ses études d'architecture à l'Université
fédérale de Pernambuco à Recife, Marcio est souvent défini
comme étant, à son plus
grand étonnement, un peintre figuratif. " Pourquoi s'acharner
à définir le style d'un peintre, quand on sait qu'un
tableau sera toujours qu'un seul et unique tableau, peu importe le nombre
d'influences répertoriées dans celui-ci. " dit-il perplexe.
N'empêche qu'avec ses lunettes rectangulaires à la Calvin
Klein, sa barbichette bien taillée, sa maison aux cadres de fenêtres
peints à l'acrylique comme ses toiles à l'imagerie fantaisiste,
le peintre a du style à en revendre.
Attablé au centre de sa grande cuisine, devant deux tasses de tisane
à la menthe fraîchement coupée, le poisson enveloppé
dans l'alu, prêt à mis au four, Marcio entame l'entretien
sans hésitation et sans gêne. Il gesticule intensément en
racontant comment le dessin a toujours été son passe-temps favori.
Le cadet d'une famille de sept enfants, au fossé générationnel
important, il s'amusait seul à recréer un monde imaginaire,
où une Jeanne d'Arc de plasticine succombait à ses sorts
morbides.
Installé dans cette demeure du Pontiac, convertie en galerie depuis plus
de sept ans, l'artiste aux épaules tombantes explique comment il
ne ressent aucune pression, ici, au Canada. Aucune pression du système,
de sa famille ou de son environnement. Son arrivée au Canada fut une
étape déterminante dans la poursuite de sa carrière. Il
dit puiser ses sources de la chance et du défi. " La peinture pour
moi est le processus de réunification des éléments dans
un tout équilibré et harmonieux. " La recherche d'équilibre,
d'ordre et d'harmonie est au coeur de son cheminement artistique.
Marcio est un peintre engagé, non pas engagé à une cause
particulière, comme la sauvegarde de la forêt amazonienne, mais
surtout engagé à lui-même. Il s'investit dans ce qu'il
sait faire de mieux, peindre. " J'ai confiance en moi " me dit-il
en toute humilité, " j'ai confiance en moi pour ce qui de peindre,
moins pour les autres sphères de la vie. " prend-il soin d'ajouter.
En parlant de couleurs associatives, il précise : " je ne pourrais
jamais être défini par une seule couleur ; la couleur est comme
un ingrédient d'une recette, elle ne fonctionne qu'en complémentarité.
" Il parle de sa démarche, en faisant référence aux
théories des " Prismes d'yeux " d'Alfred Pellan et
de l'automatisme de Borduas, sans toutefois se lancer dans une analyse
exhaustive de l'art. Le seul message que Marcio veut faire passer se retrouve
dans ses tableaux multicolores et sans prétention. Pour lui " une
oeuvre peinte peut être multipliée, construite et reconstruite
tout en conservant son unicité distincte et tout est question de momentum.
"
Pas question pour lui de signer des contrats d'exclusivité auprès
des galeries insouciantes de sa carrière d'artiste. " À
quoi bon,
une galerie se contente de vendre deux à trois oeuvres
par année ; comment voulez-vous vivre en tant qu'artiste avec si
peu de moyens! " lance Ted, écoutant notre conversation depuis le
comptoir de cuisine, en préparant deux tartes au pommes. Marcio acquiesce
avec un sourire complice. Il demeure simple et humble notre Marcio, mais pas
con. Même s'il se sent exclu et parfois déconnecté
de la vague postmoderne de l'art contemporain d'aujourd'hui,
Marcio est potentiellement confiant de son talent. Il ironise la situation en
disant " il faudrait que je peigne avec mon sang pour susciter l'intérêt
de la part des médias. " De toute façon, son " 15 minutes
de gloire ", il le multiplie par vingt en tant que président de
facto des Tournées des ateliers d'artistes du Pontiac depuis plus
de trois ans. De plus, s'il avait l'espace, tant privé que
public, il peignerait dix fois plus. On se demande bien où il en trouverait
le temps, avec sa moyenne de quatre expositions par année depuis plus
de dix ans.
Marcio, le multicolore, son acolyte Ted, Naoumi, Katie et Dodo, leurs deux chattes,
nous invitent dans un " sanctuaire ", où l'assemblage
de fleurs d'Hibiscus, de courges et de tomates, agrémente notre
visite de ce lieu paradisiaque aux couleurs du Brésil. À vous
d'être au rendez-vous.
Bianca Nugent 2001
binug55@hotmail.com
canada